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portrait

A table !

Centre névralgique d’une rédaction parfois courbatue, la table de mini ping-pong de France TV Sport est l’instant de répit que s’octroient les journalistes. Voyage, sans filet, au coeur d’un rectangle bleu qui délecte les passions et fait bien plus qu’accueillir quelques rebonds de balle orange.

Elle trône au milieu de la pièce, vit la journée et s’efface en même temps que le soleil. “Si la rédaction était une forêt, la table serait une biche au pelage soyeux” image Maxime. Pour lui, chaque pré-repas rime avec quelques échanges. La victoire lui échappe souvent, mais l’important est ailleurs. “Gagner n’assouvit pas mes désirs” témoigne le jeune biterrois, dont la qualité de jeu douteuse n’influe pas sur son bonheur. Car telles sont les valeurs de la table : concourir sans forcément lever les bras lorsque la ligne d’arrivée se profile. Son filet haut de quelques centimètres, ses cases bleues comme un ciel andalou, ses lignes aussi blanches qu’un goéland ; la table est une étincelle. Brillante esquisse d’un loisir devenu rendez-vous, elle est la pause nécessaire, la ponctuation d’une phrase parfois trop longue, l’entracte d’un spectacle de temps à autre harassant. “Parfois, je m’énerve seul devant mon ordinateur. Mettre une branlée à Sébastien me fait un bien fou.” remarque avec un peu de brutalité Clément. La table est un cyclone cosmopolite de sentiments. Rage, allégresse, nervosité, béatitude, un smoothie d’émotions entoure ce polygone bleu. Adrien, un habitué des duels impétueux, a, un jour, failli y laisser un muscle : “Je lance un coup-droit croisé que je pense foudroyant. Mais Andréa me le renvoie côté gauche. Cela m’oblige à pivoter et à mettre en place mon revers long de ligne. J’ai cru que ma cuisse cédait.” Plus de peur que de mal pour le gentleman de la rédaction, dont le service slicé n’a plus rien à prouver.

Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse

Si aujourd’hui, la table de mini ping-pong de France TV Sport fait le bonheur d’une vingtaine de ferrus de gouttes de sueur et autres petits pas latéraux, elle n’aurait jamais due être là. En janvier 2007, Hervé Fouliène, collectionneur de terrains de sport version miniature, achète la pièce dans une vente aux enchères. “J’ai craqué, j’ai posé 2 700 euros pour l’obtenir. A ce niveau là, j’ai eu la sensation qu’on me coupait une couille” analyse avec délicatesse M. Fouliène. Mais 4 ans plus tard, le jeune boulanger, qui pratique l’effeuillage entre amis lorsque l’envie lui prend, se lasse d’une table qu’il juge “ringarde, démodée”. Et lorsque Hervé se fâche, le tonnerre gronde. Une nuit automnale, il sort de son lit, ne dit rien à sa femme, saisit la table et la charge dans sa voiture. Au volant de sa Renault Kangoo, il avance vite, la bave aux lèvres, le souffle brusque. Arrivé au bord de la Lieure, petit ruisseau qui assiège son village de l’Eure, l’homme jette la table à l’eau, comme on jette son désespoir dans les abysses d'une vie blafarde. Il rentrera chez lui comme si de rien n’était.

"Des soirées en tête à tête"

Quelques jours plus tard, le rédacteur en chef du service des sports de France Télévisions flâne sur les berges de la Seine et tombe nez à nez avec cette table. C’est le coup de foudre immédiat. Lucide, l’homme se rend rapidement compte qu’il ne pourra pas construire une existence fertile avec deux morceaux de bois et un filet détendu. Mais, en ami, se l’accapare et décide de l’ériger au centre de sa rédaction. C’est ainsi que la table de mini ping-pong se retrouve entre les mains des journalistes du service. En parlant de service, celui d'Adrien, dont l’effet oblique a transpercé plus d’une raquette, est redoutable. Cette qualité de jeu est le résultat d’heures supplémentaires : “Parfois, alors que mes collègues rentraient chez eux à 17 heures, je m’achetais un feuilleté aux amandes et passait mes soirées en tête à tête avec la table”. Un amour passionnel, une union sincère, la table de ping-pong laisse peu de monde indifférent. “Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès” disait Nelson Mandela. La table de mini ping-pong est le refuge de deux esprits au cerveau désireux de ventilation, dont le triomphe ne réside pas en l’atteinte du score symbolique de 11 mais en le partage d’un instant d’épicurisme, de prospérité.

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